Jean Lurçat à propos de Liberté
Par Madame Anne Sauvonnet-Salaün et Monsieur Jean Sauvonnet
Mémoires de la Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse - la SSNAHC
Mémoires de la Soc. des sc. nat., archéol. et hist. de la Creuse, t. 61, 2015/2016
JEAN LURÇAT
À PROPOS DE LIBERTÉ
Plusieurs tapisseries de Lurçat évoquent la liberté dans leur titre : Vin
de la liberté, tissée en 1945 chez Tabard ou Le feu, le vin, la liberté,
tissée en 1947 également chez Tabard. Mais qui parle de « Liberté » et de
Lurçat pense tout de suite à la célèbre tapisserie sur laquelle figurent les
vers de Paul Éluard qui ont donné son nom à l’oeuvre.
Liberté a été tissée clandestinement chez Suzanne Goubely en 1943,
d’après un carton de 1942. Dans l’immédiat après-guerre,
au moins quatre autres éditions ont vu le jour, toujours chez Goubely.
Mais un deuxième version a été ultérieurement exécutée chez Picaud, sur un
nouveau carton : variante ou « nouvelle cuvée », selon le terme souvent
utilisé par Lurçat. Le titre est resté le même, ce qui a favorisé la confusion
entre ces deux versions.
première édition tissée chez suzanne goubely, 1943,
carton de 1942
2,40 x 3,27– en bas à droite, la mention « 7.1943 » suit la signature
de Lurçat en majuscules, payée par Jean Lurçat à Mme Goubely le
9 juin 1946 – coll. Musée national d’art moderne, Paris, Centre Pompidou
– INV. AM 427 OA.
Le catalogue de l’exposition d’Arras en 1968 présentait ainsi l’oeuvre :
Liberté 1943 – Goubely – Tissée clandestinement pendant la guerre aux
ateliers Goubely à Aubusson, cette tapisserie a été inspirée par le poème
d’Éluard, ce qui explique la présence des textes que l’on peut y voir. Jusqu’à la
fin de sa carrière, suivant d’ailleurs en cela une tradition du Moyen Âge, Lurçat
fera souvent usage d’inscriptions. Le symbole du soleil rayonnant générateur de
vie s’y déploie dans toute son ampleur, associé à celui, non moins significatif,
du coq. L’éclat du fond jaune, qui chante l’allégresse, est avivé par le voisinage
des noirs et des blancs, tandis que le dessin, presque héraldique, reste très clair.
Il s’agit incontestablement de l’une des grandes oeuvres de Lurçat. D´autres
exemplaires, avec variantes, ont été tissés par la suite1.
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1 - Catalogue d´exposition Arras – 22 juin/30 septembre 1968 – nº 10 p. 19 et 20 ; pas de reproduction.
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En effet, d’après les archives Goubely appartenant à l’abbaye
d’En Calcat, il y aurait au moins cinq éditions de cette première version.
Il nous semble logique que seule la première édition ait été tissée en 1943
puisque nous étions en période de guerre.
Dans son roman La Chambre de Goethe, Frédérique Hébrard parle de
cette tapisserie qui, de 1943 à 1945, aurait été cachée avec les oeuvres d’art
du Louvre dans le château de La Treyne, au sud de Souillac :
Sur son porte-bagage, roulée comme un cigare, Lurçat apportait sa tapisserie,
LIBERTÉ. Il la déroulait sous nos yeux sur les tomettes de la
terrasse. Dans le bruit de douce pluie, on regardait. C´était beau ce coq. Et
ce mot : Liberté. La liberté c´est toute l’existence […] Papa disait que, bien
sûr, on allait garder la tapisserie. L’immatriculer comme si elle appartenait
aux Musées Nationaux. En cas de perquisition, les Allemands ne pourraient
rien dire. Liberté. C’est toujours dans le dictionnaire malgré les apparences.
Tout le monde rit2.
Dans le livre très documenté de Michel Rayssac L’Exode des Musées,
nous pouvons lire :
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2 - Frédérique Hébrard, La Chambre de Goethe, Flammarion, 1981, p. 180. « Papa » est
l’écrivain André Chamson.
JEAN LURÇAT, À PROPOS DE LIBERTÉ
Château de La Treyne – même jour [14 juin 1945] – Christiane Desroches-
Noblecourt assure le transfert au Louvre de 35 caisses du département des
Antiquités égyptiennes. […] Le dernier convoi regagnera Paris le 15 novembre.
Parmi les tapisseries ou ballots de tapis figure une tapisserie de Jean Lurçat
qu’il faudra déposer dans le bureau de Georges Salles3.
C’est donc cette première tapisserie Liberté qui se trouve fin 1945 au
Louvre où Georges Salles est alors directeur des Musées de France. La
tapisserie sera achetée en 1946 par les Musées nationaux.
les éditions de 1946 tissées chez suzanne goubely, carton de 1942
Pour trois éditions sur cinq nous avons des reproductions et elles
nous paraissent identiques avec, à droite, la mention « 7.1943 » qui suit
la signature de Lurçat en majuscules et en plusieurs couleurs. Nous ne
voyons pas de marque Goubely comme nous la connaissons. En revanche,
Johann-Günther Egginger, nous montre qu’au milieu de la frise inférieure,
se trouve un petit soleil contenant un GY4, mention signalée d´ailleurs sur
le site internet du Centre Pompidou.
Deuxième édition
Dans un relevé de compte (non daté, 1946 ? ) Mme Goubely mentionne
quatre tapisseries Liberté. Le prix de la 2e édition est inférieur à celui des
autres. D’autre part, il nous a été signalé par Mlle Brisville que le prix de
cette tapisserie, actuellement à Douai, avait été revu à la baisse, le « p » de
« épaisse » dans « pluie épaisse » n’étant pas tissé en entier5.
Dans les archives Goubely, nous avons eu en main une lettre
(malheureusement non datée, mais classée en 1946), envoyée de Saint-Céré
par Jean Lurçat à Mme Goubely : « 2º J’ai une offre pour un exemplaire
LIBERTÉ qui serait acheté par les élèves et professeurs de l‘ École Normale
Supérieure de filles de Douai pour leur réfectoire de l‘école ».
Cette édition (2,40 x 3,27 – dimensions identiques à celles de l’édition nº 1),
offerte par sa coopérative scolaire en 1949 à l’école normale d’institutrices
du Nord, à Douai, était exposée à Argentan en 19926 et nous avait paru
très fatiguée. Actuellement elle est roulée dans les réserves du musée de
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3 - Michel Rayssac, L´exode des Musées, Paris, Payot 2007, p. 492.
4 - Johann-Günther Egginger, « La Liberté de Jean Lurçat », Bulletin de l´Amicale des
anciennes et anciens élèves de l´école normale d´institutrices de Douai, nº 110, février 2014,
p. 19-43. Nombreuses photos de Liberté, dont celle de la marque GY p. 25 ; avec la retranscription
de la lettre manuscrite de Mlle Parent à Jean Lurçat (18 janvier 1949) p. 38.
5 - Mlle Marie-Louise Brisville (normalienne promotion 1947-1949) a été surveillante
générale de l’école normale de Douai jusqu’à sa retraite en 1982. Elle est décédée en avril 2008.
6 - Dialogues avec Lurçat 1992 – ODAC de la Manche – tapisserie mentionnée p. 114 (n°3).
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La Chartreuse de Douai. Depuis 2010, lors des journées du patrimoine,
elle est présentée sur le site de l’ancienne école normale de filles devenue
IUFM en septembre 1990, puis ESPE en 2013.
Un échange de correspondance et de conversations téléphoniques en 2006
et en 2007 avec Mlle Brisville, nous a appris que la directrice, Mlle Parent, avait
encouragé les élèves de l’établissement à financer l’achat de cette tapisserie :
Mlle Paule Parent originaire de la Somme, 1ère femme nommée Inspectrice
de l´École Normale, avait été chargée en 1939 de diriger les Écoles Normales
d´Albi et de Montauban situées en France libre après la fermeture des Écoles
Normales en 1940. Elle est restée 6 ans, a fait la connaissance de Lurçat et s´est
engagée dans la Résistance sauvant des enfants juifs, peu de gens le savait.
En 1946, elle est nommée à Douai. Génie administratif, elle reconstruit l´École
Normale et entraîne le personnel et les élèves. En 1947, elle annonce aux élèves
qu´il faut acheter la tapisserie LIBERTÉ. En même temps elle nous lit la lettre de
Guy Mocquet ; une de nos professeurs a été martyrisée en 1944 (S. Lanoy) et la
bibliothécaire condamnée mais non fusillée. Nous voulons leur rendre hommage
et nous cotisons pour l´achat. Mlle Parent connaissait bien Goubely. La tapisserie
a été payée 350.000 Frs et accrochée dans la salle de réunion, puis en 1958 dans le
foyer des élèves. Elle a terminé dans la salle du conseil7.
Les élèves ont versé régulièrement tous les mois la somme de
50 centimes afin de financer cet achat. La tapisserie a été présentée « en
1949 lors de la fête de fin d´année ».
Tous les documents concernant la correspondance avec Lurçat ont
été détruits, au grand regret de Mlle Brisville et de Mme Coppée8. Cette
dernière a réalisé les nombreuses photos illustrant l´article du bulletin cité
ci-avant.
Troisième édition
2,40 x 3,40 = 8,16 – 13.05.1946 – compte Jean Lurçat du 30 janvier
1947 – localisation actuelle inconnue.
Quatrième édition
2,40 x 3,40 = 8,16 – sur facture conditionnelle remise à Lurçat le
23 septembre 1946 – Bonnet/Washington, d´après ce que l´on peut lire
Lurçat a écrit lui-même : « Un exemplaire de cette tapisserie est
actuellement dans un salon de l’Ambassade de France à Washington9 ».
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7 - Lettre de Mlle Brisville du 9 novembre 2007.
8 - Mme Claudette Coppée, normalienne ENF de Douai, promotion 1971-1973.
9 - En 1975, une ancienne normalienne de l’ENF de Douai (promotion 1949-1951, époque
où Mlle Parent était directrice) a participé avec ses élèves au Concours de la Résistance et de la
Déportation créé par le ministère de l´Éducation nationale en 1961. Leur dossier La déportation,
les camps de concentration, la libération des camps dont la couverture en tissu avait été brodée
JEAN LURÇAT, À PROPOS DE LIBERTÉ
Nous avions espéré, un certain temps, trouver cette édition de Liberté à
l´ambassade de France à Washington. Suite à nos recherches, et grâce
à une amie militaire actuellement en poste à l’ambassade qui a pu
contacter le responsable de l´inventaire des objets d´art de la résidence
de l´ambassadeur, ainsi que le responsable de l´inventaire des objets
d´art de l´ambassade, nous avons appris que, depuis 1987, aucune oeuvre
de Lurçat n’est répertoriée là-bas. Étant donné que dans les archives
de Mme Goubely seule figure la mention « Bonnet/Washington »,
nous supposons que la tapisserie a été achetée personnellement par
M. Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington de 1944 à 195410.
Lorsque M. Henri Bonnet a cessé ses fonctions, il a emporté avec lui la
tapisserie qui lui appartenait. Il serait intéressant de savoir si cette édition
est toujours la propriété de cette famille.
Cinquième édition
2,40 x 3,40 = 8,16 – expédiée à Denise Majorel le 30 octobre 1946 –
facture conditionnelle.
S´il y a eu une facture conditionnelle, nous supposons qu’il s’agit d´une
tapisserie vendue à l´étranger.
C´est vraisemblablement celle qui appartenait en 1947 à
Mme Abdallah Kloury. Localisation actuelle inconnue. Une reproduction
de cette tapisserie se trouve sur la page de couverture du catalogue de
l’exposition de Beyrouth J. Lurçat, tapisseries, lithographies, dessins… au
Musée Nicolas Sursock (27 février/14 mars 1967). La tapisserie nous paraît
identique à la première édition.
Tapisseries tissées chez picaud (1952) – carton de 1952
Nous connaissons deux éditions de ce carton de 1952, variante moderne
du carton de 1942. Nous pensons que Lurçat a fait un nouveau carton
en s’inspirant de celui de 1942, mais nous n’avons rien trouvé dans les
archives Picaud que son fils nous a permis de consulter.
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du soleil de Lurçat a obtenu un prix. Voulant mentionner dans ce dossier la tapisserie LIBERTÉ, (à
l´achat de laquelle elle avait participé), l’enseignante a consulté les archives de l´ENF qui existaient
encore à cette époque. Elle a retranscrit un extrait de la lettre du 17 décembre 1948 où Lurçat
écrivait à Mlle Parent : « Je vous propose une de mes tapisseries composées en 1943 et tissées alors
clandestinement à Aubusson : Liberté. Peut-être vous rappellerez-vous qu’à cette époque furent
jetés sur Paris par la RAF des milliers d´exemplaires du poème d’Éluard : Liberté. Je suis parti de ce
poème. Un exemplaire de cette tapisserie est actuellement dans un salon de l’Ambassade de France
à Washington ».Voir aussi dans le bulletin nº 110 de l´Amicale, p. 20 et 35.
10 - Henri Bonnet (1888-1978) était en 1939 directeur de l´Institut international de coopération
intellectuelle (ancêtre de l´Unesco) et membre du comité de direction de l´Office international
des musées (cf. L´exode des Musées, op. cit., p. 45).
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1– 2,83 x 3,64 – tissage Picaud, Aubusson, 1943 [sic], exemplaire nº 1,
bolduc signé – signature en bas à gauche en minuscules suivie de la marque
Picaud – coll. Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers,
don de Mme Lurçat en 1988 au Musée d’Angers – INV. MTA 88-23-1.
Malheureusement, à cause de la mention « 1943 », cette tapisserie est
très souvent confondue avec celle qui appartient au Musée national d’art
moderne de Paris. On a pu ainsi lire dans un journal régional :
Au Musée Jean Lurçat et de la Tapisserie contemporaine, la carte postale
la plus vendue s´intitule LIBERTÉ. Elle date de 1943 et son histoire appartient
à l´Histoire avec un grand H : l´oeuvre fut en effet tissée dans la clandestinité,
sous l´occupation allemande. Il s´agit de l´illustration du fameux poème de
Paul Éluard : « Sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches, pierre,
sang, papier ou cendre, j´écris ton nom... Liberté11 ».
2– 2,85 x 3,70 = 10,54 – date non renseignée, bolduc sans signature de
Lurçat, pas de nº de carton ou de matricule. Cette tapisserie, que l’on peut
voir au château de Boussac, semble identique à celle d’Angers.
___________
11 - Courrier de l´Ouest du 9 oct.1992.
JEAN LURÇAT, À PROPOS DE LIBERTÉ
description des tapisseries : similitudes et différences
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Lurçat, en rouge et en minuscules se trouve en bas, à gauche. Elle est suivie
de l’écusson monogrammé de Picaud.
Chez Goubely, sur un fond jaune parsemé d’étoiles et de nuages, un
immense soleil, divisé en quatre parties inégales, est surmonté par la tête d´un
coq à jabot rouge tournée vers la droite. Son plumage est noir et il émerge
au-dessus des flammes. Derrière ce soleil apparaît de façon incomplète un
second de couleur sombre avec en son centre des crânes répartis dans tous les
sens. Les deux astres représentant vraisemblablement le jour et la nuit. Les
quatre parties inégales du grand soleil se décomposent ainsi :
occupant les ¾ supérieurs, nous avons à gauche, sur un fond blanc,
une immense plante ; à droite, sur un fond noir, des motifs représentant des
visages qui se chevauchent, trois dans la partie supérieure, en-dessous « pour
te connaître », ensuite cinq autres visages, avec en-dessous « pour te nommer »
– occupant le quart restant, à gauche, sur un fond noir, une main tenant
une flamme et à droite, en biais sur un fond blanc « Liberté ».
Dans les tapisseries tissées chez Picaud, sur un fond également jaune
nous avons comme précédemment les deux soleils. Le plus important est
toujours divisé en quatre parties inégales mais la main tenant la flamme
est remplacée par un serpent qui s´enroule autour du tronc de l´arbuste, et la calligraphie de « Liberté » n’est pas la même. Ici, l´immense soleil est surmonté d´un coq aux couleurs nationales. Perché entre les cornes d‘un taureau qu‘on ne voit pas, il se dirige fièrement vers la gauche en criant
vraisemblablement « Liberté » ou « Victoire ».
Dans les tapisseries de Goubely, à gauche de la composition soleils et
coqs, on peut lire deux strophes du poème d´Éluard
– en haut : – en bas :
Sur les formes scintillantes Sur la mousse des nuages
Sur les cloches des couleurs Sur les sueurs de l´orage
Sur la vérité Sur la pluie épaisse et fade
J´écris ton nom J´écris ton nom
Dans les tapisseries tissées chez Picaud figurent non plus deux mais
quatre strophes du poème d’Éluard. Les deux, à gauche des soleils, sont les
mêmes que dans le carton de 1942 ; à droite, on a :
Sur toutes les pages lues Sur les merveilles des nuits
Sur toutes les pages blanches Sur le bain blanc des journées
Pierre, sang, papier ou cendre Sur les saisons fiancées
J ́écris ton nom J´écris ton nom
Le détail du coq «moderne» de la tapisserie tissée chez Picaud est reproduit dans le catalogue d ́exposition Musée Réattu/Arles (27 juin/1er oct.1953)et
nous pouvons lire dans la liste des tapisseries exposées :
nº 19 – LIBERTÉ (variante de 1946) (1952)
2,83 x 3,64 – Atelier Picaud – collection particulière
À notre avis, toutes les tapisseries Liberté tissées chez Goubely en
1946 ont le même carton c’est-à-dire celui de 1942, mais la date de 1952
mentionnée ici nous prouve bien qu’en 1953, certains faisaient déjà la
différence entre les deux cartons, l’un réalisé par Lurçat pour Goubely,
l´autre pour Picaud.
Nous espérons que les cartons des deux « versions/variantes » Liberté
n’ont pas été totalement détruits et qu’ils dorment peut-être dans les
réserves des Tours-Saint-Laurent. Il est fort dommage qu’avec le temps,
beaucoup de témoins – et aussi beaucoup d’archives ou de documents –
aient disparu. Ceci ne simplifie donc pas les recherches afin d’établir une
étude approfondie de l’oeuvre tissé de Lurçat.
Si ce grand artiste a réalisé plus de 1 000 cartons de tapisseries, le nombre
d’éditions, éparpillées dans le monde entier, est considérable. D’une part,
les tapisseries qui sont vendues maintenant aux enchères ne possèdent pas
toutes leur bolduc et reçoivent alors un nom parfois fort fantaisiste. D’autre
part, nous craignons aussi l’apparition de fausses tapisseries sur le marché.
En nous référant aux deux variantes de Liberté que nous venons de décrire,
nous pensons qu’il faut être très vigilant dans la rédaction des cartels et
mentionner la date du carton et la date de tombée de métier de ladite tapisserie.
Dans le cas présent, Raymond Picaud, né en 1925, n’a commencé à travailler
pour Lurçat qu’en 194612 donc il serait plus exact d’indiquer sur le cartel :
« carton de 1952 (variante moderne du carton de 1942), tissage de 1952 ».
Certaines archives, et plus particulièrement celles de Tabard, très
bien tenues13, peuvent, si nous avons le nº de matricule d’une tapisserie,
nous aider à retrouver la date exacte de tombée de métier. Il nous semble
donc primordial, lorsqu’il existe un bolduc, que l’on en fasse mention en
indiquant scrupuleusement ce qui est écrit dessus :
– Nom de la tapisserie
– Carton nº
– Mle (matricule) nº
– Dimensions
– Nom de l´atelier
-------------------------------------------
-12 - « La première tapisserie que j’ai faite pour lui faisait 2 m de haut sur 1,50 m de large,
c´était Le Coq roi, un coq bleu blanc rouge. Ce sont des choses qu´on n’oublie pas » a confié
Raymond Picaud à Marine Leroy. Cf. supplément du mensuel nº 156 Vivre à Angers de mai
1992, p. 12.
13 - Actuellement aux Archives départementales de la Creuse.
Sans oublier d’indiquer s’il est signé par Jean Lurçat, ou authentifié
par Simone Lurçat. En effet, parfois Lurçat a donné, à des dates
différentes et à différents ateliers, le même carton (modifié ou pas) à tisser.
Malheureusement, très souvent, seule la date du carton est citée, rarement
la date du tissage de la tapisserie. Si ces notions étaient retransmises
exactement, ceci éviterait des confusions regrettables en montrant, de
bonne foi, une tapisserie pour une autre.
Anne Sauvonnet-Salaün
Ébauche Darmstadt mai 2011
Mise à jour Darmstadt octobre 2014
Nous tenons à remercier tout particulièrement : M. Xavier Hermel,
administrateur de la Fondation Jean et Simone Lurçat qui nous autorise à
reproduire libre de droit les deux versions de Liberté ; Mme Martine Mathias qui
a supervisé cet article ; Mme Dominique Sauvegrain des musées d´Angers ; la
Réunion des musées nationaux (RMN) ; M. Bruno Ythier, conservateur de la Cité
internationale de la tapisserie à Aubusson ; Mme Sophie Guérin-Gasc, chargée
d’étude scientifique au musée Dom Robert/Abbaye-école de Sorèze où se trouvent
les archives Goubely propriété de l´Abbaye d´En Calcat ; Mme Claudette Coppée
de Douai ; notre amie militaire en poste à l´ambassade de France à Washington en
2014 et notre amie de Saint-Céré.
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